aquaplanant

Rater sa vie ou la vie (2)

Ce billet commence à nouveau par un rendez-vous raté, ou plutôt repoussé, encore une fois.

 

La dernière fois où je modifiais mon heure de tombée, c'était pour chercher le vieux chat égaré d'un ami dans HoMa. Cette semaine, je repousse d'une journée l'écriture de ce texte pour aller voir un film de zombies raté avec mon filleul de 17 ans pour son anniversaire.

 

Voilà pour la raison du retard. Mais de retard, il n'y en a jamais quand personne ne vous attend de pied ferme.

 


Bref, ce samedi 22 juillet, lendemain de solstice d'été arrosé d'amour et d'eau fraîche, que puis-je ajouter à ce tableau de bord déjà très chargé pour l'année 2013 en cours ?

 

Tout d'abord, cette semaine et les autres qui viennent, ce travail de mémoire deviendra plus littéraire. Après tout, si je note tout ça depuis janvier dernier, c'est pour me relire à la fin de celle-ci et trouver un fil conducteur, une idée maîtresse, un indice d'humanité quelconque, une trace d'intelligence sur la planète. Alors, autant que ce soit agréable à lire.

 

À l'ombre de  cette nouvelle, j'écris cette autre lettre pour moi-même et pour les autres. Un peu comme ce jeune homme dans la jeune quarantaine qui déciderait d'afficher ce qui a marqué sa mémoire dans le monde, dans son pays transitoire et dans le très vaste domaine des communications.

 

L'idée provient de l'enseignement de niveau secondaire que j'ai reçu au Québec. Un enseignement "secondaire" qui, curieusement, est probablement aussi mon enseignement le plus solidaire après celui dispensé par ma famille et mes amis. Comme quoi, les noms qu'on donne aux choses les plus importantes dans la vie ne sont rien si nous ne les comprenons pas autrement après coup.

 

L'idée c'était de s'écrire une lettre à soi-même avant le bal des finissants de cette année-là. Ne me demandez pas laquelle, c'est déjà trop loin comme ça.

 

L'idée, aussi, c'était de l'écrire en se posant des questions, comme on lance une bouteille à la mer avec la certitude qu'elle sera récupérée un jour par quelqu'un qui la lira avec une grande attention.

 

L'idée, c'était d'écrire un texte à ouvrir cinq ans, dix ans, quinze ans ou vingt ans plus tard.

 

Je n'ai pas attendu plus que cinq ou dix ans, je crois. Je ne sais plus. J'ai plutôt lu cette lettre pour savoir et me rappeler ce qui, pour moi, était important à un âge où la raison apparaît peu à peu dans son être.

 

La déception tient surtout au fait que je me demande si j'ai fait l'achat d'une Corvette d'un certain modèle. Le genre de véhicule américain capable d'atteindre une vitesse folle en très peu de temps tout en réduisant la taille de son sexe et la fréquence de son activité, selon la rumeur.

 

La déception vient ensuite de cette obsession pour le métier, pour la profession, pour ce que je ferais dans la vie à l'ouverture de la lettre en question. Que faire dans la vie, telle n'est évidemment pas la question. Je le sais aujourd'hui.

 

Je le sais parce que Shakespeare l'a bien dit avant moi dans "On ne fait pas d'Hamlet sans ouvrir des yeux". 

 

To be, or not to be

 

Etre ou ne pas être, donc.

 

Rien à voir avec tout placer ses oeufs dans le même panier et se convaincre que l'on ne vaut rien ou que l'on ne vaut à peine le prix du papier sur lequel s'écrit et se signe son chèque de paie chaque semaine.

 

Rien à voir avec les diplômes ou la reconnaissance que des gens qui ne comprendront jamais qui vous êtes, ce que vous êtes devrais-je dire, et qui peuvent encore moins vous définir complètement.

 

Est-ce que ça veut dire que je méprise l'éducation pour autant parce que je n'y pas trouvé ce qui me manquait ?

 

Non. Pas du tout. J'ai eu quantité de conversations intéressantes avec des gens qui réussissaient cet exploit phénoménal qui consiste à prendre sa place et garder le silence alors que quelqu'un d'autre parle.

 

Dès le départ, l'école, je savais que ce n'était pas pour moi. Sinon, pourquoi mon professeur du primaire, à l'école St-Émile, serait sorti dans la cour de récréation pour venir aider la femme qui m'avait mis au monde après un césarienne (je ne voulais pas venir au monde non plus, comme c'est drôle et original...) à m’abandonner dans un bloc de béton avec des fenêtres.

 

Car même si on vous laisse tomber dans la mer immense de la connaissance, que peut-il rester de votre être si vous ne savez pas nager dans ce type d'océan ?

 

À quoi bon tout le Savoir du monde s'il n'aide pas à voir la vie autrement qu'une beurrée de marde qui s'étend en perdant tout son pain en vieillissant ?

 

J'ai tellement décroché et raccroché souvent de l'école que je sais maintenant pourquoi je ne réussissais par à y trouver ce que je ne cherchais. L'école n'était qu'une porte d'entrée et une porte de sortie en même temps. On y entre pour mieux s'en sortir.

 

On y va parce qu'on se fait pousser dans le dos.

 

On y va parce qu'on croit que la fleur de macadam dans un milieu pauvre poussera plus vite si on tire sur ses pétales ou sa tige en parlant sans arrêt.

 

Et pourtant, il faut y aller. Et pourtant, je crois toujours que ceux qui ont raté ce parcours sont des êtres formidables.

 

C'est simplement moi, dans tout ça, qui ne trouvait rien de bon à dire ou à faire de toute cette éducation.

 

Tellement de voies possibles. Tellement de possibles. Tellement.

 

Et pourtant si peu d'espoir à offrir à quelqu'un qui cherche la paix au plus christ.

 

J'aurais dû comprendre, pourtant, en regardant mes notes. J'aurais dû saisir le message.

 

Ta force est dans l'enseignement religieux et la formation personnelle et sociale. Ta force est dans le droit civil et criminel et cette amour de ta langue, le français.

 

La langue de l'amour maternel adoptif. Cette belle écriture appris dans une école de rang. Sans faute. Sans rature. Sans littérature également. Cette chose dont je me suis trop gavé en croyant y trouver le sens de la vie.

 

Un long préambule, je sais. Pour en arriver à l'importance du père dans ma vie.

 

Puisque j'ai lâché le morceau dans le billet précédent au sujet de ma mère naturelle et de ma mère adoptive. Puisque j'ai avoué avoir comme un esprit d'adoption, un air de rebelle à double fond du côté maternel, autant passé à l'aveu suivant.

 

Je n'ai aucune idée de mes origines précises du côté de mon père naturel. Un rôle qui souvent détermine la vision et la sensation que l'on développe face à l'autorité, au respect, à la grandeur ou la noblesse de la vie.

 

La légende veut qu'il ait été militaire, celui qui m'a donné mon premier nom de famille. Car j'en ai eu trois jusqu'ici.

 

D'où ma passion des pseudonymes rigolos ou songés : syhemalik, aquaplanant, London Frog, etc. Des noms rêvés, des noms d'emprunt. Des extensions des surnoms qu'on m'a autrefois donné : Bourassa, Travolta, Néo, Speedy, Gretzky, le magnifique, Hardcore, etc. Comme des petits noms admiratifs qui marquent à la fois l'affection et le plaisir de t'apostropher autrement.

 

J'avoue, tout au long de mon parcours du combattant, sur le marché du travail, je ne me suis pas gêné pour en créer moi-même : la fleur des profondeurs, pour une jeune femme du nom de Jacinthe Dupuis étant mon préféré entre tous.

 

Mais il y a une constante dans tout ça : le prénom. Inchangé. Insondable. Impossible à renié. Steve. Comme si, depuis ma naissance, je savais que j'allais le porter fièrement.

 

Et ce nom grec, qui veut dire "couronné", entre autres, je l'ai porté avec obstination. J'en ai aussi fait une certaine obsession.

 

Ayant travaillé dans un centre d'appels très longtemps, j'ai toujours porté une attention maniaque aux noms, aux prénoms, aux origines, aux identités multiples, aux gens de passage, aux artistes, aux entrepreneurs en transition, aux immigrants spécialisés dans l'attente de la reconnaissance de leurs diplômes.

 

C'est pourquoi je crois l'identité importante. C'est pourquoi je crois que la quête d'identité doit être vécue comme un roman noir ou un detective novel.

 

C'est pourquoi j'aime tant l'intranquilité de Fernando Pesoa, la machine à penser de Jacques Futrelle, la route de Jack Kerouac, le procès de Kafka, la marche à l'amour de Gaston Miron, le plus beau voyage de Claude Gauthier, etc.

 

J'aime les quêtes qui deviennent des en-quêtes. Des quêtes intérieures où les indices sont inscrits sur les murs.

 

J'aime regarder le monde et essayer d'y voir un motif au sens le plus artistique ou spirituel du terme.

 

J'aime voir les gens comme des témoins d'un siècle en devenir, un millénaire en développement.

 

J'aime observer l'actualité comme un flot de lumière aveuglant qui permet de voir quelque chose si on porte des lunettes fumées et non des lunettes roses pour le regarder.

 

J'aime cette idée de collectionner des moments, des capsules de temps, des morceaux de verre brisé d'un kaléidoscope inutile.

 

C'est pourquoi j'aime autant Marshall McLuhan et que je vous recommande le livre de ma semaine de travail éreintante, de mon année du Serpent, de mon existence attentive et foisonnante : 

 

 

 

Un livre qui peut très bien dire ce qui se passe ailleurs dans le monde puisque ça se passe dans le monde entier en ce moment : un monde littéraire, typographique, visuel, est en train de redevenir un monde auditif et oral. L'essence même du village global n'est pas le rétrécissement du monde étouffée dans les mailles d'une toile internet. Non, l'essence du village global est le retour triomphal du barbare, du discours tribal et du tam-tam du même nom. C'est l'extension du téléphone arabe dans tout ce qu'il a de difficile à comprendre dans toute autre langue que l'arabe, justement.

 

Un livre qui peut aussi dire ce qui se déroule en ce moment au Canada lorsque des inondations en Alberta entrent en dialogue avec des inondations qui se déroulent en Inde, par exemple. Autrement dit, un auteur qui souligne que ce qui se passe ICI est maintenant un événement qui se déroule ailleurs en même temps. Mais non seulement ces deux nouvelles se rejoignent mais aussi entrent en interaction, s'enlace dans l'imaginaire collectif.

 

Un livre qui peut, évidemment remplir mon troisième segment de billet hebdomadaire : ce qui se dit d'intelligent sur les médias d'aujourd'hui est là-dedans. Tout entier. Du smartphone en passant par le système nerveux central en action (non pas l’ordinateur, le réseau mais le réseau social) jusqu'au glissement d'un mode hot vers un mode cool. De la chaleur de la télévision, qui éclaire le foyer qui le possède, nous passons au monde froid qui accueille et déploie des réseaux sociaux privés de chaleur humaine parce que l'écran empêche tout contact réel. Parce que ces amis virtuels ne sont que des avatars d'individu rêvant le meilleur de leur vie pour l'offrir aux autres en guise d'image de prestige à refiler à son voisin cathodique. Comme si la religion, du latin religare, qui veut dire relier entre eux, était maintenant axé sur le partage. Le Share et le LIKE de l'un ou l'autre de vos médias sociaux préférés. Sans parler des blogues, qui donnent naissance à un érudit ou à un étourdi de la littérature par seconde. Mais un monde, surtout, qui a provoqué la plus grande révolution nomade de son histoire avec la simple création du réseau cellulaire couplée avec 

 

Enfin, un livre qui commence par un souhait de déconnexion global et total qui se termine par les mots : où les McLuhan d'aujourd'hui ?

 

Il est devant vous. Si vous comprenez mien mon message. Non, le médium n'est pas le message. Le message, c'est le miroir qui se dresse devant vous chaque fois que vous regardez un écran qui demande des nouvelles de vous.

 

Amusant quand même, non ? L'écriture qui se tient debout ne se couche plus sur le papier. Elle reste debout pour continuer à vous parler. Sans arrêt. Toujours. Partout. Pensez-y. Qui est bon et qui est partout ? Eh oui, Jésus. Une figure religieuse et omniprésente en Occident. Le type de guerres religieuses qui nous attend et auxquelles on assiste repose d'ailleurs sur ce conflit à la fois territorial et spirituel. La terre sainte n'est plus la terre sainte quand toute la terre est sacrée ou incorporée dans une nouvelle religion : le capitalisme sauvage.

 

L'être humain est un animal social, dit-on depuis déjà très longtemps. Imaginez si vous lui donnez une religion qui adore tuer toute autre forme de concurrence ce que cela fait de vous. Eh oui. Un public-cible. Et peut-on honnêtement défendre un public qui se prend pour cible ? Non plus.

 

Donc, si on revient à la question de départ. Ce n'est pas tant l'idée de rater sa vie qui compte, aujourd'hui. Mais bien celle de ne pas rater LA vie. En lui substituant un monde virtuel, par exemple. En ne s'enfermant pas dans une tour, également. Prenez le temps de descendre de vos grands chevaux et aller voir le petit monde. Pour une poignée de monnaie, il pourrait lire votre avenir. Pour un sourire, il pourrait vous rappeler ceci : dieu vous le rendra. La communication n'est plus une forme d'échange séculier. C'est une manière d'échanger et de conserver avec une autre version de soi - une autre reproduction humaine - à l'aide d'un lien invisible transmis à l'aide de serveurs tout aussi invisibles. Des serveurs ivres, complètement chaud, qui transforme le vaisseau où nous habitons en bateau ivre, faisant chavirer notre vie dans celle des autres en une fraction de seconde. En une minute sur votre timeline Twitter, ce n'est pas l'actualité qui défile. C'est la vie qui se passe autour de vous et qui pourrait vous toucher si vous étiez capable d'interrompre votre connexion pour aller "connecter" autrement avec le reste du monde...

 

 

(la suite la semaine prochaine...)

(en attendant, bonne fête de la St-Jean...) 



22/06/2013
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