aquaplanant

Dans mes archives personnelles


Le Québec : une "société juste" en Amérique ?

Je ne sais plus si je l'ai mentionné ici mais, le 20 mai dernier, j'ai décidé de prendre congé du réseau social Twitter pour un bon bout de temps, étant donné que j'y voyais moins d'avantages que d'inconvénients.
 
Trois semaines plus tard, me revoilà sur les ailes du geai bleu.
 
La raison en est simple et pourrait se résumer à ceci : l'ennui.
 
Plus précisément : l'ennui ou un surplus relatif de temps libre combiné à un relatif manque de moyens de se divertir de manière plus dispendieuse.
 
En gros, c'est ça. Mais c'est aussi l'envie de retrouver une caisse de résonances accessible et hospitalière au sein de laquelle je puise l'inspiration nécessaire à mes réflexions et aussi à mes montées de lait quasi spontanées.
 
Dernière raison, avant d'aborder le vif du sujet : je nage en ce moment d'un extrême à l'autre, du point de vue de l'écriture. Autrement dit, osciller entre moins de 140 caractères et plus de 2500 mots est devenu mon lot quotidien. Ou ma routine hebdomadaire.
 
Bref.
 
Il faut dire que j'ai sérieusement tendance à utiliser à l'extrême un réseau (ou bien une console, un smartphone, un CD, etc.) et puis, au bout d'un certain temps, de m'en désintéresser complètement. À la fois par ennui (encore une fois) ou parce que je n'y retire plus de plaisirs ou que je n'y trouve plus matière à provoquer une quelconque réflexion chez moi ou chez ceux avec qui j'entre en interaction.
 
Ainsi, "pour changer le mal de place", comme on dit si bien ici, et reprendre ma bonne vieille habitude d'écrire régulièrement, j'ai décidé d'écrire à un quotidien que j'aime bien à défaut d'écrire de "micro-messages" de 140 caractères sur le site.
 
Je m'exécute. Mais, comble de l'ironie, en cours de rédaction - à l'intérieur même de ma boîte de courriels Gmail, munie d'un logiciel de correction orthographique très pratique - je me perds dans mes nombreuses réflexions (et autres considérations plus ou moins pertinentes) et puis, sans vraiment prendre la mesure du texte que j'envoie au courrier des lecteurs du journal Le Devoir, quotidien de haut calibre de Montréal, j'expédie le "message".
 
Je dis bien le "message"... car je suis toujours dans ce mode de pensée, maintenant. La forme de mon écriture n'est plus aussi structurée, ma pensée est fragmentée, et mon texte, par le fait même, plutôt télégraphié dans toutes les directions. Si je puis dire.
 
C'est ainsi que, non content de passer d'un moyen d'expression ne pouvant permettre plus de 140 caractères, je me suis aventuré à dépasser le nombre de mots maximal permis par les deux rubriques potentiellement offertes par le quotidien. Soit, moins de 400 mots du côté de la tribune libre "normale", et jusqu'à 1100 mots pour la rubrique Idées.
 
Comme dirait Loto-Québec, inspiré probablement par René Lévesque : "Meilleure chance la prochaine fois."
 
D'un extrême à l'autre, je suis donc passé, sans véritablement m'en apercevoir, comme dirait Yoda dans sa grammaire bien particulière.
 
Enfin, peu importe. Pour me remettre de ma frustration bien relative et de mon étourderie, j'ai décidé de publier le texte (légèrement modifié), adressé au journal préalablement cité, sur ce blogue. Question de ventiler mon humeur massacrante (pour des raisons étrangères à la réception de ce texte) et pour conserver un pense-bête utile me permettant de ne pas refaire la même erreur la prochaine fois. Si "prochaine fois", il y a, puisque je ne crois plus être en mesure de m'exprimer autrement que par des canaux de communication plus personnalisés et plus discrets dans leur rayonnement. (Cela dit, si le rayonnement d'un texte publié dans un journal reconnu peut être lu par plusieurs centaines ou milliers de personnes, la qualité de la lecture ou la qualité du lectorat en souffre, selon moi.)
 
 
 

 

Fin du préambule - Début du texte annoncé dans le titre principal

 

LETTRE D'OPINION en réaction à l'article de Fabien Deglise du mercredi 5 juin 2013, évoquant l'étude suivante.
 
L'étude de Simon Langlois de l'université Laval enragera bien des gens qui se détestent déjà, au Québec.
 
Autant à gauche qu'à droite, on déchirera sa chemise sur la place publique pour critiquer ou dénoncer les résultats de cette étude universitaire car cette apparente bonne nouvelle n'est pas pour plaire à ceux qui, chez les lucides, serait un camouflet à leur détestation du "statu quo"; et chez les solidaires, une façon légèrement détournée de diminuer la nécessité impérieuse de réinventer le monde afin d'emprunter gaiement le chemin menant vers le grand soir de la "solidarité".
 
Mais laissons de côté ces débats partisans et saisissons plutôt l'occasion idéale de brasser ensemble quelques clichés afin de mieux percevoir notre album de familles collectif.
 
Par exemple, répéter une évidence aussi grosse que celle consistant à dire que plus une personne avance en maturité et en scolarité, plus ces deux phénomènes combinés contribuent au bonheur de celle-ci bouleversera certainement les esprits les plus attachés à leur constat de morosité. Eux qui parlent et agissent en fonction de la jeunesse incurable ou qui nous assomment sans cesse avec la présumée Grande Noirceur vécue par la classe moyenne du Québec.
 
Oh la la. Que dites-vous là, monsieur Langlois? Les Québécois seraient plus heureux qu'on ne le croit? Ou du moins, percevraient, ô sacrilège!, avec plus d'indulgence et de prudence le portrait globalement juste et équitable de leur société?
 
Ainsi, contrairement à ce que nos curés modernes, semonçant la populace du haut de leur humeurs chroniques, qui s'évertuent à tracer sans cesse de la Belle Province le plus sombre et apocalyptique des portraits - pour conserver l'attention de leurs auditeurs, leurs lecteurs ou leurs téléspectateurs apeurés - ainsi, dis-je, tous ces généreux laudateurs du réalisme institutionnalisé seraient dans l'erreur?
 
Il est grand le mystère de la Foi en la catastrophe inévitable, au Québec; Il ne faudrait pas trop l'ébranler, surtout, monsieur Langlois.
 
En passant, peu de gens semblent se rendre compte, au sein de l'univers médiatique, que la nouvelle en continu, lorsqu'elle est réalisée de manière bête et mécanique, contribue non pas à l'affranchissement de l'ignorance, à l'émancipation du je, me, moi afin de projeter le "consommateur de nouvelles" dans ce qui se passe à l'extérieur de lui-même ou de chez lui. Au contraire, la nouvelle internationale enfilée autour du cou du téléspectateur comme autant de colliers de catastrophes ne se contente, bien souvent, que de pointer le pauvre Québécois ou l'infortuné Canadien errant coincé dans un calvaire lointain afin de mettre ce dernier malheur spectaculaire en sons et lumière. Comme si cela permettait une forme d'éclairage pertinente ou une plus juste perspective du sujet abordé.
 
Bref, toute cette mise en scène de la place de l'actualité internationale dans notre vision du monde est tordue par cette fameuse impérieuse impression (dont tous les sondeurs raffolent) afin de mieux vendre à ce tout aussi fameux "client-roi" une idée qui n'est pas encore à la mode. Le bonheur imaginé comme un pis aller continuel, ou comme une marchandise exclusive comme la nouvelle peut l'être également.
 
Et ces temps-ci, la mode est au catastrophisme. Le PQ ne s'en va nulle part, la politique municipale est corrompue, les jeunes ne savent plus écrire, les accommodements déraisonnables se multiplient, la place du français en Amérique est au bord de l'abîme, etc. Lire les journaux, de nos jours, revient presque à devenir le juge inconscient d'un concours de gros titres. Un "gros mots" n'attendant pas l'autre pour qualifier l'état de Santé du Québec de déplorable ou celui de l'état de ces Finances de débâcle en devenir.
 
Un jour, pas si lointain, je vous le prédis, quelque penseur à gages se sentira le besoin d'y aller gaiement d'un tonitruant "On est dans la marde!" bien senti, qui en réjouira plusieurs et qui en scandalisera autant d'autres. Mais qui ne manquera pas de provoquer son lot de réactions. Comme si le nombre de réactions à une nouvelles en déterminait le poids ou l'importance véritable dans les faits ou dans la réalité. À vous de choisir en quoi vous croyez.
 
Mais, mes amis, n'oublions surtout pas d'en rajouter avant d'aller plus loin.
 
Les jeunes ne savent plus écrire. (À qui et comment on enseigne le français sont des détails qu'on se plaira de négliger, ici.) La génération des babyboomers sera la première génération à léguer moins de richesse à la génération suivante. (Moins de quoi, au juste, offert à combien de qui, en fait, pour en faire quoi?, on l'ignore, mais il s'agit bien de se scandaliser de quelque chose pour mieux meubler l'espace publicitaire, cet espace qui a besoin de son tapage quotidien pour mieux vendre sa camelote.) Le Québec est un enfer pour les Québécois qui ont de l'ambition et les anglophones qui se sentent constamment martyrisés par la majorité francophone. (L'ambition de contribuer à un monde plus équitable et le fait que la majorité francophone est divisée comme jamais elle ne l'a été politiquement représenteront évidemment des faits que l'observateur patenté, trop occupé à faire du "cherry picking" à la surface d'un florilège de nouvelles chaotiques, ne prendra pas le temps de remarquer.)
 
Autrement dit, cette étude tombe bien, selon moi, car elle démonte une idée préconçue nuisible à notre développement collectif et démontre, au passage, que l'animal médiatique commercial québécois souffre davantage d'un manque de sens profond qu'il peut imprimer à la nouvelle ou à l'actualité, que de cette perpétuelle recherche harassante du modèle d'affaires qui lui éviterait une disparition éventuelle et (encore une fois...) inévitable. Alors, comment ne pas insister sur ce superbe prétexte que constitue les résultats de cette étude pour rappeler la complexité du réel, en général, et celle de la société québécoise en particulier?
 
Par manque de recul face à l'objet de notre attention, par manque d'écoute active de la population touchée directement ou non par les événements que l'on rapporte (et je ne parle pas ici d'un cruel manque de vox pop), les médias contribuent - volontairement ou non - à fabriquer une vision totalement déformée de ce que nous sommes ou de ce que nous percevons être le monde dans lequel nous vivons. Et c'est de cela aussi que provient, non seulement la faillite plus ou moins évidente de nos médias d'information, mais aussi celle de la banqueroute morale de nos institutions.
 
Comme si, au Québec, nous n'avions pas constamment mis à l'épreuve notre système d'éducation, au cours des 50 dernières années, avec tout ce que cela comporte de résultats plus ou moins bien évalués. Comme si les Québécois ayant vécu l'après-guerre avaient éclipsés ceux ayant vécu la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale - pour ne prendre que ces deux seuls exemples limités au rayon d'action du siècle dernier - et qu'il devenait de ce fait impossible de voir dans notre passé au-delà des années 1960, ou pis encore, à se projeter dans l'avenir au-delà de la prochaine élection fédérale, provinciale ou municipale...
 
Bien entendu, il ne s'agit que d'une étude basée en grande partie sur un sondage. Mais, tout de même, comment ne pas s'en servir pour aborder publiquement ce qui, au-delà de l'impression immédiate, obsessive et compulsive à notre époque, ne peut être perçu correctement à l'aide du meilleur des sondages, de la plus équilibrée des tribunes libres, de la réaction immédiate la plus inspirée sur les médias sociaux - attention, je n'ai pas dit la plus retweetée, mais bien la plus inspirée -, pour soulever des questions pertinentes? 
 
Voyons-nous mieux la réalité qui nous englobe - qui nous comprend avant même que nous cherchions à notre tour à la comprendre... autrement? Percevons-nous mieux notre monde que nous l'apercevions auparavant, avant cette connexion perpétuelle à toute la pléthore d'antennes qui recouvrent notre planète? Est-ce l'école qui rend plus heureux ou est-on mieux équipé pour faire nous-même notre propre bonheur après notre passage dans le réseau de son enseignement? Est-ce que ces anglophones qui disent vivre dans une société inéquitable sont aussi influencés que ça négativement par la panoplie de sources d'information dont ils disposent, au Québec?
 
Je suis toujours soufflé par notre propension à nous auto-flageller constamment afin d'aller chercher des votes ou l'approbation d'un tiers, au Québec.
 
Mais en écrivant cela, je suis injuste en insistant uniquement sur le cas du Québec, car il semblerait que ce phénomène du maelstrom nombriliste soit répandu même en Europe, avec des accents plus obscurs et plus déprimants sur le Vieux Continent.
 
L'insatisfaction chronique comme nouvelle manière de voir le monde au quotidien, c'est ça le remède à tous nos problèmes? C'est ça la façon que nous avons de relever les défis pressants qui nous attendent dans ce climat de fin du monde?
 
Cela dit, comme par coïncidence, tout cela se marie à merveille à une société, non pas juste, équitable, noble ou axée strictement sur les loisirs; mais plutôt à une société de consommation qui ne carbure qu'à la dramatisation publicitaire et au besoin pré-fabriqué par un département de marketing.
 
Mais, encore là, je suis injuste car une multinationale de la boisson gazeuse projetait récemment, dans une salle de cinéma où je me trouvais par hasard, un message publicitaire montrant des images prises par des caméras de surveillance. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire en lisant les journaux, en écoutant la radio ou en en regardant la télévision, on pouvait y voir aussi le meilleur de l'humanité à l'écran noir et blanc. Comme quoi, la télévision en couleurs n'a pas mis davantage de nuance dans notre vision du monde...
 
Bref, à notre époque de conflits sans cesse renouvelés à travers le monde, il serait peut-être temps de laisser de côté le discours trop axé sur la peur de l'Autre et la fascination pour un Avenir de coalitions incorporées. Il serait tout aussi judicieux de chercher à comprendre ce qui fonctionne bien dans ce fameux "modèle québécois" (comme si il pouvait porter un autre nom...) car, en ce moment, nous souffrons tous collectivement d'un sévère déficit d'attention. Constamment distraits que nous sommes par les mauvaises nouvelles que nous surconsommons presque autant que la malbouffe que nous dénonçons, nous n'arrivons pas à voir plus loin que le bout de notre nez. Et ce qui nous pend au bout du nez n'est peut-être pas si catastrophique si on se fie à cette fragile étude qui nous a été présentée par ce bon monsieur Langlois.

08/06/2013
0 Poster un commentaire

Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser